Incompréhension entre formatage scolaire et compétences professionnelles
Les compétences professionnelles mises à mal
Je suis assez effarée par l’antagonisme qui règne entre ce que nous apprenons à l’école et les compétences professionnelles que recherchent les employeurs et les grandes écoles à l’embauche. Comment cela peut-il être aussi opposé ? Je suis d’autant plus outrée que je suis enseignante et ai toujours défendu l’école de la République, mais je me pose de réelles questions sur le sens de ce que l’on y fait… Quelles compétences professionnelles, scolaires et personnelles avons-nous mission de développer chez les enfants? Que construit-on? Que déconstruit-on? Pire, je suis en colère contre la mainmise que l’on peut avoir à travers l’école sur le potentiel originel des enfants, potentiel que l’on empêche finalement de se développer tout en tentant de les faire entrer maladroitement dans un cadre qui ne convient qu’à une petite majorité.
Et maintenant que trois de mes cinq enfants sont à l’âge d’arpenter les salons de l’étudiant, cela chamboule encore plus le sens de ma mission d’enseignante de matière artistique.
Laissez les enfants exprimer leurs rêves
Quand j’étais au collège, je rêvais d’être dans une école comme dans « Fame ». Cela représentait la liberté, la liberté d’expression et surtout la liberté créatrice, l’autonomie, la gestion de projet, la réalisation collective et l’accomplissement personnel. La fierté d’avoir créé depuis la conception jusqu’à l’aboutissement… oui, disons-le : du rêve à la réalité ! Ce n’est pas rien ! C’est presque tout en fait. Le besoin d’accomplissement qui nous construit et nous fait grandir. Un besoin primaire. Et ce besoin ne dure pas que les années de l’enfance.
Le petit enfant rêve. Il imagine, il invente, et met à exécution ses idées, avec parfois mille tentatives. Ni la société, ni lui-même ne l’empêche de grandir et d’apprendre. Bien au contraire. Tout le monde l’encourage. Combien de chutes avant le premier pas ? des centaines ! Combien de « ma, ba, ga… » avant le premier « papa ». Et on lui crée l’espace nécessaire à son apprentissage, on veille à ce qu’il grandisse, qu’il réussisse, qu’il y arrive après ses tentatives. On encourage chaque exploration, on félicite chaque succès, on minimise chaque échec en le rassurant.
Pourquoi diable commence-t-on à faire l’inverse à l’école ???
(Je fais un petit aparté à ce moment là de l’article pour remercier tous les enseignants qui se battent pour que l’enfant puisse se construire en respectant sa personnalité et sa créativité. Certains enseignants bienveillants, ouverts, et voulant mettre du sens à ce que représente la scolarité, font un travail formidable. Malheureusement, c’est une lutte qu’il faut mener à l’intérieur d’un système lourd de passif et d’inertie.)
Pourquoi donc, disais-je, fait-on à l’école l’inverse de ce que les parents font naturellement pour faire grandir leurs enfants entre 0 et 3 ans ? A l’école :
- Les rêves n’ont pas leur place. L’école, c’est quelque chose de sérieux, et on y apprend à être raisonnable et raisonné
- Les idées personnelles dérangent le cours prévu par l’enseignant, qui respecte un programme
- L’imagination doit respecter un protocole : thèse, antithèse, synthèse, ou doit passer par un théorème attendu, pour ne pas sortir des critères d’évaluation définis
- L’invention doit se faire ailleurs, à la maison ou dans les loisirs si tout va bien, rebutée, ou même réprimée. L’invention et la créativité sont estampillés « erreur », « faute », voire « échec », car « non-respect des consignes » ou « mauvaise compréhension » …
Bref « mauvais élève » ! On y est !
La fabrique à mauvais élèves
Il faut rentrer dans le moule pour être bien noté. Refréner son originalité, donc sa personnalité et ses idées, pour ne pas déranger les apprentissages prévus.
Combien de fois peut-on « tomber » pour apprendre son premier pas ? Des centaines de fois lorsqu’on apprend à marcher. Mais à l’école, nous n’avons pas la possibilité de cette exploration.
La première fois qu’on « tombe », cela passe, mais on est déjà repris avec l’idée que le résultat que nous avons réalisé « n’est pas bien », « pas correct », « faux », est une « erreur ».
La deuxième fois, non seulement le résultat est jugé tout aussi négatif, mais notre démarche ou notre attitude, et rapidement notre personne, en prend un coup. « Tu ne fais pas les choses correctement », « tu n’as pas appris », « tu ne respectes pas les consignes », « tu ne fais pas ce qu’il faut »… Nous sommes bien loin de ce que nous apprends Edison dans sa fameuse citation: « Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas.». L’erreur n’est plus là pour apprendre et nous élever (si tenté que ce concept ait pu s’allier au mot « erreur » un de ces jours dans notre système éducatif). Elle installe le doute sur nos compétences personnelles, et à travers elles, sur nous-même. Notre confiance en nous, pire, notre amour-propre, commence à défaillir.
Tomber sept fois, se relever huit fois
Le proverbe japonais « Telle est la vie : tomber sept fois et se relever huit fois. » donne de la positivité à nos échecs par la promesse de nous en sortir à la fin. Mais il n’a pas l’air d’être connu du système français.
La troisième erreur est sanctionnée. Eh oui, souvent, c’est déjà le moment du test – « Ne sais pas faire », « n’a pas appris ». L’apprentissage devrait justement être l’occasion de répéter et répéter les choses, essayer et réessayer les choses, autant de fois qu’il le faut, jusqu’à obtenir le résultat attendu et en être fier ! Exactement comme pour notre premier pas.
Incohérence des programmes face aux neurosciences
C’est d’ailleurs exactement ce que prône les neurosciences, en particulier les sciences cognitives dans le domaine de l’apprentissage. Selon la courbe naturelle, biologique et salvatrice de l’oubli (et non pathologique ou fainéante), il faut répéter les apprentissages de manière très resserrée au début, puis en espaçant progressivement, et cela pendant plusieurs mois pour que la notion soit ancrée.
Le programme scolaire est à l’opposé de ce principe biologique. Un chapitre est souvent bouclé en moins de deux semaines avec le test final sanctionnant une notion qui est en fait en début d’apprentissage. Puis on passe à autre chose. Donc les notions ne sont pas consolidées dans la mémoire à long terme. Et l’on s’étonne que d’une année sur l’autre les enfants aient « oublié » les notions, on a l’impression qu’ils n’ont rien fait, et eux aussi d’ailleurs!… Bref, perte de temps, non sens… Non, ils ne sont pas fainéants ou peu travailleurs, c’est biologique et c’est démontré. Ce ne sont simplement pas des disques durs.
Stigmatisation
Je ne vous parle pas de la quatrième erreur ! L’élève – l’enfant – l’adulte en devenir – est classé « nul », « incompétent » … Même si ces mots ne sont pas écrits noir sur blancs, le mode survie des enseignants les poussent à trier les élèves même inconsciemment. Le système de sanctions au bulletin ou de tri pour confectionner les groupes classes renforce drastiquement ce tri des élèves. Combien de fois en arrivant en tant qu’enseignante dans un nouveau collège (et j’en ai fait plein!), des collègues dévoués venaient me donner la liste des élèves affublés de « points rouges et verts ». Quelle horreur! C’est ce catalogage de l’enseignant, puis celui des parents qui souvent en découle, qui va créer la réelle chute.
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De toutes façons, je suis nul!
Oui, car l’enfant est une éponge. Et les adultes sont ses modèles, en particulier les adultes les plus proches et qui ont une autorité affective. Il va donc croire tout ce qui transpire d’eux et l’absorber comme une vérité. Et c’est là la véritable destruction qui commence. Bien plus que de n’être pas très fort en maths, l’enfant est « nul ». Sa personne toute entière devient « nulle ». Zéro ! Rien n’a en tirer ! Lorsque c’est répété, sur plusieurs mois ou même années, cela devient une fatalité. Pourquoi faire d’autres tentatives, d’autres essais ? « De toutes façons, je suis nul ! ». Les enfants s’en persuadent au point que c’est ancré dans leur chair à un tel point qu’on ne peut plus leur démontrer le contraire.
Je suis enseignante en éducation musicale, et je me souviens de Bryan, cet élève qui voulais faire de la guitare. Hésitant à venir devant la classe, sous ce terrible refrain « de toutes façons, je suis nul ! », j’ai dû batailler et demander l’aide de toute la classe pour l’encourager à faire l’effort de venir et de prendre la guitare… l’effort de croire un instant en une petite possibilité qu’il ne soit pas entièrement « nul ».
Il réussit finalement, avec mes conseils et encouragements, à faire une petite mélodie. Tout ceci en peu de temps et en ayant pris une guitare en main pour la première fois de sa vie. Je le félicite, la classe l’applaudit. Il était étonné. Je lui demande de reconnaître son succès… mais esquissant un demi sourire, j’ai senti qu’il avait vraiment du mal à réaliser ce qu’il venait de faire. Il est retourné à sa place en disant « De toutes façons, je suis nul ! ».
C’est terrible comment ce mal a gangrené en profondeur son estime personnelle. La reconstruction devra être tellement plus longue et complexe que la destruction, si par chance il pourra bénéficier d’une reconstruction un jour…
Il vaut mieux ne rien faire plutôt que de risquer de rater
Le stade un peu avant est « De toutes façons, je n’y arriverai pas ». Quelle folie d’avoir autant de pression sur l’aboutissement à un résultat. Car cela produit l’inverse de l’apprentissage : les élèves n’essayent même plus, de peur de ne pas y arriver ! Les compétences professionnelles demandent l’inverse: il faut savoir prendre un minimum de risque, y aller, ne pas rester inerte.
Et c’est ainsi que des classes entières de collège sont remplies d’enfants avec si peu de confiance en eux, dit-on, et tellement peur de l’échec, qu’ils ne font plus rien, voire se déscolarisent. On les traite de fainéants. Mais lorsque l’on comprend ce harcèlement latent qu’ils ont subi, parfois sur plusieurs années, on devrait s’alarmer d’avoir « créé » autant de destructions morales et humaines.
Et ces mêmes élèves, qui n’ont plus la force personnelle de se risquer, ne travaillent plus, baissent les bras, se dévalorisent… Et étant donné qu’ils sont obligés de passer le plus grand nombre des heures éveillées assis sur une chaise à l’école, soit pour s’effacer encore plus du monde, ils dorment, soit par ennui, ils s’amusent, soit par souffrance face à un vide existentiel, ils essayent d’exister autrement. C’est là qu’ils commencent à « faire des bêtises » … et parfois pire. Donc, on peut en conclure que l’école crée des déscolarisés et des délinquants ! Triste constat…
Oui, je suis en colère !
Je suis en colère d’autant plus que, enseignante d’une matière artistique, non seulement je crois, mais je vois que chacun a un potentiel magnifique qu’on ne laisse pas s’exprimer.
Ce petit « emm…deur » de 4ème B est en fait un géni de la programmation informatique de jeux vidéo, qu’il fait jusqu’à 4h du matin, c’est pour ça qu’on a la paix le matin, car il dort en classe. Celui-là, caché derrière ces cheveux dans le fond de la classe et qui n’ouvre jamais aucun cahier… Il compose de la musique sur des logiciels pro, et a mis en ligne ses morceaux, qui sont suivis par plein de fans.
Celle-là, qui refuse tout travail, voir bousille le cours du professeur, a des books pleins de dessins à faire pâlir un éditeur de BD. Oui, elle dessine plus sur ses cahiers d’école et sur les bras de ses voisins que sur des planches, et ne fais que des dragons et des vampires… et alors ? Celle-là encore, oui, celle qui répond au professeur et invente des excuses de mytho… elle a un tel bagou qu’elle peut vous vendre n’importe quoi et tenir en haleine une salle de 200 personnes. Ce n’est pas une compétence professionnelle, ça ?
Halte à la destruction de nos futurs génies
Les exemples seraient innombrables. Mais il suffit de voir quelques grands hommes et grandes femmes qui ont réussi, ont fait des découvertes, innovations ou avancées géniales, et pourtant avaient eu une scolarité déplorable ! Or ils ont malgré tout développé des compétences professionnelles et personnelles pour réussir. Et iI y en a légion. Ces rescapés de l’amour propre ont dû puiser dans leur ressources personnelles pour ne pas se laisser anéantir par l’image que la société leur renvoyait. Malheureusement, combien de talents n’ont pas eu cette chance et a-t-on détruit ?
Oui, je suis en colère !
La créativité : trop originale pour être acceptée
Je suis en colère que toute la créativité de ses êtres en devenir soit jugée négative, ou tout au moins inappropriée ou malvenue dans le cadre scolaire. Car j’en ai souffert personnellement. Lorsque j’étais en première scientifique, on m’a jugée « trop originale » et je devais donc aller en filière littéraire. J’étais furieuse, premièrement car ce n’était pas mon choix. Mais en plus, parce que j’arrivais aux mêmes résultats que mes camarades, simplement en utilisant une autre voie que le chemin voulu par l’enseignant. J’ai vu à ce moment là que c’était la vraie raison, révoltante et intolérable en fait : pas dans le moule – déclassé ! On fait attention à la forme, mais pas au fond. Et je ne parles pas du souhaits profond de l’élève. J’ai du dire adieu à plusieurs métiers ou écoles qui m’auraient intéressés.
Les grandes écoles recherchent des jeunes accomplis personnellement
Maintenant, je vais de stands en conférences au salon des étudiants avec mes enfants, et je tente de comprendre les critères de sélection aux grandes écoles, les compétences professionnelles, scolaires et personnelles à avoir lors des entretiens individuels ou pour rédiger les lettres de motivation (ah oui, encore une chose que l’on n’apprend pas à rédiger à l’école). Et cela ravive toute simplement ma colère.
Que cherche-t-ils ? Des jeunes qui soient autonomes, curieux, ouverts, créatifs, qui aient de la personnalité, qui aient vécu des choses originales, qui aient des expériences créatives ou d’ouverture, qui osent s’affirmer, qui osent prendre des risques, s’investir personnellement, entreprendre, qui vont plus loin… en gros, qui ne sont pas « scolaires » .
!!!
On marche sur la tête !
Quel que soit la filière, c’est la même chose. De l’école de dessins animés, des métiers de l’audio visuels à l’école de Sciences Politiques ou même à la plus scolaire fac de Droit, ils cherchent le même profil. Se démarquer par sa personnalité, son originalité, sa créativité… tout ce que l’on devait mettre en sourdine, voire cacher, au cours de sa scolarité.
En fait, ils cherchent tous les élèves que l’on a détruit à petit feu lors des années d’école… Et pour ceux qui ont réussi sagement à être dans le moule, il va falloir du temps pour les en ressortir, de ce moule, pour qu’ils aient les moyens de prendre des risques, s’investir personnellement, être créatif au delà de ce qu’on leur a appris, se mettre en avant, être force de proposition après des années où on leur a proposé tout ce qu’il y avait à savoir, connaître, faire.
Lâché dans la jungle
Mais là, maintenant, personne ne va les y aider. Le système n’a pas prévu cette étape. Débrouille-toi, tu es majeur maintenant! Il va falloir qu’ils ratent quelques concours ou années de fac pour réapprendre qui ils sont, ce qu’ils veulent vraiment, à quoi ils ont un jour rêvé. Il va falloir du temps pour qu’ils se refassent confiance, qu’ils se reconnectent à leurs réelles aspirations, qu’ils se permettent d’être créatifs, autonomes, original… originel… Qu’ils se permettent d’être eux-mêmes. Enfin ! Pour trouver leur voie, leur trajectoire du moment, et se fassent accepter avec ces nouvelles dispositions.
Ceci étant posé, j’ai là, une pensée compassionnelle pour tous ces jeunes déscolarisée trop tôt, ou au contraire trop scolarisés, mais qui sont perdus… Qui se sont perdu… Qui ont perdu leurs rêves et leurs aspirations… Et que l’on a perdu, en fait. Oui, car, s’ils se sentent perdus, personnellement également, la société aussi les a perdus, a perdu tout leur potentiel créatif et inventif. Franchement ! Pourquoi s’être privé de cela ? Pour être « tranquille » pendant leur adolescence ? Pour mieux gérer des classes de 30? Est-ce seulement vrai ? … Et quel gâchis !
Compétences professionnelles, scolaires, personnelles, même combat
Je milite pour la reconnaissance de toutes les compétences ! Mais en tout premier lieu des compétences personnelles. Car ce sont bien les « soft skills » que les grandes écoles et les patrons recherchent.
Ils le disent tous : les « hard skills », ils les apprendront durant les 3 ou 5 ans d’études, ou en stage, ou sur le tas… Bref, en temps voulu. Les « savoirs faire » concernant le secteur choisi ne sont pas si long à apprendre une fois que le reste est là. C’est pareil pour les « savoirs » relevant de la filière ou du métier choisi. Mais à l’entretien de l’école ou d’embauche, il faut surtout montrer ses « savoirs être ». Les compétences professionnelles, du moins recherchées au niveau professionnel, sont en grande partie des « savoir être ». Savoir être dans la société, dans la collectivité, dans l’entreprise. Et savoir être soi, pleinement.
Et ça, ça ne s’apprend pas en quelques semaines, mais tout au long de la vie. Cela devrait être la vraie priorité de l’école. Faire en sorte que chacun puisse ETRE pleinement ce qu’il est, avec toutes ses qualités et ses compétences mises en valeur.
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Pour aller plus loin, voir l’article soft and hard skills: le yin et le yang des compétences professionnelles
Voir également la formation CENTRAGE et CRÉATIVITÉ